Les forêts finlandaises capturent du carbone de manière effective, celles du Canada seulement en théorie

Les forêts canadiennes pourraient être une arme redoutable contre le réchauffement climatique grâce à leur potentiel de capture de carbone. Malheureusement, ceci n’est actuellement pas le cas à cause des feux de forêt et des destructions dues aux insectes et maladies du bois. Seul un bon aménagement forestier pourrait aider à inverser la situation.

Un expert des forêts: professeur Lauri Sikanen de l'Institut des Ressources Naturelles de Finlande (LUKE)

Ci-dessous, le texte en bleu est une traduction libre d’articles de blog rédigés par Lauri Sikanen, scientifique principal et directeur de groupe chez Luke, l’institut des ressources naturelles de Finlande. Le professeur Sikanen travaille sur beaucoup de projets de foresterie au Canada, notamment avec le Lakehead University et FP Innovations.

Le premier article date de 2020.

Les feux de forêt et destructions mettent à mal le bilan carbone des forêts canadiennes

Il y a peu, un grand débat s’est ouvert sur les réseaux sociaux pour savoir si les forêts canadiennes sont des puits de carbone ou une source de carbone. Beaucoup de twitteurs actifs refusent d’accepter les résultats publiés dans la presse canadienne indiquant que le bilan carbone des forêts en fait une source d’émissions de carbone. Un ou deux tweets ne sont pas suffisants pour discuter sérieusement d’un tel sujet, c’est pourquoi il est nécessaire de faire un point un peu plus détaillé de la situation.

Les forêts canadiennes subissent de nombreux feux de forêt dévastateurs tous les ans

Le problème majeur des larges étendues de forêts du Canada sont les énormes feux de forêt dont le nombre varie énormément d’une année à l’autre. Les dégâts dus aux insectes sont également larges et sont plus faciles à prévoir. Un arbre attaqué par un insecte va mourir sur place et sa capacité à capturer du carbone s’arrête. En se décomposant, un arbre va libérer du carbone dans l’atmosphère. Les larges étendues d’arbres morts vont également augmenter le risque de feux de forêt.

La dynamique du carbone dans les forêts canadiennes est probablement le mieux compris par le docteur Werner Kurz du ministère des Ressources Naturelles, qui a la charge du comptage du carbone dans les forêts du pays. Il est venu notamment faire une conférence sur le sujet en Finlande. Kurz décrit dans sa conférence l’évolution de la capture de carbone dans les forêts exploitées par l’économie forestière au Canada des années 1990 à nos jours. La situation est claire : les forêts en exploitation au Canada ont été principalement une source de carbone sur les 30 dernières années. La quantité d’émissions de carbone sont du même niveau que la quantité de carbone capturée sur la même période par les forêts en Finlande.

Si on enlevait l’effet de la récolte du bois, ainsi que celui des feux et des ravages par les insectes, les forêts canadiennes seraient des puits de carbone. Il est intéressant cependant de comparer la taille de ce puits de carbone comparativement à la taille du pays.

Les forêts finlandaises capturent du carbone de manière effective, celles du Canada seulement en théorie

La capacité théorique de capture de carbone des forêts en exploitation au Canada a été estimée à environ 300 millions de tonnes équivalents dioxyde de carbone (CO2-eqv) par an. La surface de la forêt exploitée est d’environ 347 000 000 d’hectares. La capacité théorique de capture de carbone au Canada est donc un peu moins d’une tonne par hectare par an (0.86).

Durant le siècle courant en Finlande, la capture de carbone dans les forêts a été à son minimum 17 Mt CO2-eqv durant l’année 2018. La surface de forêts en Finlande équivaut à environ 6% de celui du Canada, 20 300 000 hectares. La capture de carbone effective par la forêt finlandaise était de 0.83 en 2018 après déduction de la récolte et des pertes naturelles, soit quasiment au niveau maximal théorique de la forêt canadienne.

Dans le rapport international standardisé des émissions de gaz à effet de serre (NIR), le Canada indique que ses forêts capturent environ 30 Mt CO2-eqv par an. Les rapports LULUCF et NIR ne nécessitent pas de prendre en compte l’effet entier des destructions naturelles. En reportant cela à l’hectare, ceci correspondrait à 0.09 t CO2-eqv par an, soit le dixième de la valeur équivalente calculée pour la Finlande. En réalité, lorsqu’on additionne les effets des destructions naturelles (feu et insectes), les forêts canadiennes ont libéré plus de carbone que ce qu’elles ont capturé.

Les forêts canadiennes non entretenues et en état naturel sont difficiles à comparer aux forêts finlandaises

Les arbres morts rejettent du carbone au lieu d'en capturer

Est-ce à dire que la situation des forêts canadiennes est mauvaise ? La situation est plutôt normale pour une forêt de conifères boréale lorsqu’elle est principalement dans son état naturel ou qu’elle n’a pas été entretenue. Au Canada, les coupes d’entretien sont pratiquement inexistantes mis à part au Québec et dans les Maritimes. Même dans ces régions elles sont peu nombreuses. Si de nouveaux arbres sont plantés, personne ne s’occupe des semis après plantation. La quantité de bois mort dans les forêts est impressionnante. Le bois en décomposition augmente la diversité de la forêt, mais également le risque d’incendies.

L’économie forestière au Canada et en Finlande sont si éloignées l’une de l’autre, qu’une comparaison est difficile, mais instructive. Les forêts « entretenues » au Canada représentent 65% de la superficie boisée. Ces forêts sont inventoriées et utilisées pour l’économie, mais incluent également de grandes régions protégées, des parcs nationaux des forêts réservées aux loisirs et des forêts protégeant des zones habitées.

Grande étendue de forêt dévastée par les insectes

Les longues distances et le manque d’infrastructures routières fait que de très larges portions de forêt au Canada sont dans un état totalement naturel. Ces zones sont « trop loin » ou qu’on se trouve et leur exploitation économique comme en Finlande n’est pas possible. Ceci rend également l’extinction des feux de forêt extrêmement compliquée et couteux.

Une des solutions envisagées au Canada est de se diriger, dans certaines zones faciles d’accès, vers un entretien forestier de type finlandais, incluant notamment des coupes sélectives régulières. Des coupes sélectives régulières, combinées à un réseau de routes forestières entretenue permettrait d’exploiter des ressources forestières sur une zone plus importante, tout en réduisant les risques de destruction liées aux insectes. En même temps cela réduirait la charge de matériaux combustibles dans la forêt et diminuerait les risques d’incendie. Pour les villes et villages entourés de forêts qui se battent régulièrement contre de gros feux de forêt, cette nouvelle économie serait la bienvenue.

Le stock de carbone dans les forêts canadiennes est à un niveau élevé

Au Canada, les forêts ont, dans de nombreuses zones, stocké plus de carbone qu’en Finlande. Ceci vient du fait que dans de nombreuses zones, les forêts poussent sans coupes sélectives et que de larges zones inaccessibles n’ont jamais été coupées par l’homme. En moyenne, l’avantage dans ce domaine est en faveur du Canada. D’après le rapport officiel State of Canada’s Forests, il y a environ 135 mètres cubes de bois à l’hectare, comparativement aux 123 de la Finlande. L’estimation du carbone stocké dans le sol inclut encore tellement d’incertitudes, qu’il vaut mieux s’y concentrer plus tard.

Pour l’environnement, il est dommage que les forêts canadiennes rejettent plus de carbone dans l’atmosphère qu’elles n’en stockent. En Finlande, la situation est contraire.

 

En complément à ce texte, il convient de rappeler que lorsqu’on utilise le bois dans la construction de bâtiments et de meubles, le carbone qui était stocké dans l’arbre va se retrouver stocké dans le bâtiment ou le meuble pendant des années, et laisser de la place à un nouvel arbre qui capturera du carbone à son tour. La même parcelle de forêt pourra donc recapturer du carbone au lieu de simplement le stocker dans un arbre (à condition que la parcelle soit gérée de manière durable).

Un autre article intéressant du même auteur datant de 2017 discute de la bioéconomie construite autour de la forêt qui est un des piliers de l’économie de la Finlande.

 

La Finlande – Probablement la bioéconomie forestière la plus durable au monde

Comme vous le savez probablement déjà, 12 pourcent de la superficie des forêts en Finlande est protégée pour des raisons environnementales et écologiques. Mais saviez-vous que la foresterie a amené 229 milliards d’euros en revenues d’exportation à la Finlande depuis 1995 ? Nous avons une population d’élans, d’ours et de loups tellement grande que nous devons les chasser pour garder l’équilibre et l’harmonie entre leurs proies et les personnes vivant dans les forêts.

Saviez-vous que depuis l’an 2000, les ventes de bois d’œuvre a rapporté 24 milliards d’euros de revenus pour des citoyens ordinaires, qui sont propriétaires de plus de 60% de toutes les forêts finlandaises ? Un cinquième de la population est propriétaire forestier ou ont des propriétaires forestiers dans leur famille, ce qui distribue les revenus issus de la forêt de manière large à travers les gens ordinaires dans tout le pays. La forêt génère également de nombreuses opportunités de travail aux personnes vivant dans les zones rurales ; ceci a toujours été un élément important de la durabilité sociale.

« Malgré l’impact économique remarquable de l’industrie forestière et l’usage intensif du bois, nous avons plus d’arbres dans nos forêts que jamais auparavant »

Si vous avez déjà visité la Finlande, vous savez que nous avons de nombreux forêts et arbres. Mais saviez-vous que malgré l’impact économique remarquable de l’industrie forestière et l’usage intensif du bois, nous avons plus d’arbres dans nos forêts que jamais auparavant. De nos jours, il y a environ 80 milliard d’arbres. Le nombre d’arbres, ainsi que le volume total des forêts est en croissance et le resterait même si on augmentait encore notre récolte dans les forêts. Cette croissance accrue des forêts signifie que plus de carbone de l’atmosphère se retrouve capturé par les arbres et dans les produits forestiers remplaçant les matériaux basés sur les produits fossiles. Bon pour le climat et les objectifs environnementaux.

Croissance et exploitation de la forêt en Finlande. L'utilisation de la chip de bois pour le chauffage de 26% du pays reste minime par rapport à la croissance des forêts.

Vous savez peut-être que nous avons effectué de larges coupes claires dans les années 1950 et 1960 lorsque nous construisions les bases de notre société. Durant ce temps, nous avons introduit des pratiques d’aménagement forestiers intensifs basés sur de la monoculture et des unités larges. Mais savez-vous que ces larges zones de coupes claires sont désormais à nouveau des forêts avec un mélange d’essences varié, que notre aménagement forestier est certifié et que la biodiversité a été promue depuis des décennies avec l’introduction de pratiques de coupe plus diverses.

« La durabilité n’est pas juste la durabilité écologique »

Bien sur vous savez que la Finlande a trois des compagnies majeures dans le top dix des entreprises de papier et pâte à papier. Mais saviez-vous que nos entreprises fabriquent également des fibres textiles, du biodiesel, du bioéthanol, et développent des douzaines d’autres bioproduits et des symbioses industrielles vertes basées sur la forêt et les arbres ?

La durabilité n’est pas juste la durabilité écologique. Si c’était le cas, nous n’aurions pas de bioéconomie, ni de bien-être économique dans le futur de notre pays. Aujourd’hui, le cinquième de nos exports viennent de l’économie basée sur nos forêts. La durabilité dans la bioéconomie, comme vous le savez, est une combinaison équilibrée de durabilité écologique, économique, sociale et culturelle.

Les forêts sont une énorme source de bien-être et de confort and nous voulons les garder comme tels – pour toujours.

 

Comme on peut le voir dans le texte ci-dessus, l’aménagement forestier est non seulement une nécessité pour mitiger les effets dévastateurs des feux, des insectes et les maladies, mais permet également de bâtir une économie forte et renouvelable. L’utilisation dans la construction et l’ameublement du bois découlant d’une exploitation renouvelable est une bonne manière de stocker le carbone d’un arbre sur une longue période, tout en capturant plus de carbone lors de la croissance de nouveaux arbres.

Un bon aménagement forestier génère également la récolte d’une quantité de biomasse non négligeable qui peut servir à éviter l’utilisation d’énergies fossiles pour le chauffage grâce à l’utilisation de la biomasse pour le chauffage. Pour en savoir plus sur le sujet, vous pouvez consulter notre Wiki Le chauffage biomasse : une énergie renouvelable, carbone-neutre et socialement responsable.